Travail du sexe, échange de services sexuels, prostitution… Pourquoi tous ces termes utilisés depuis la fondation du PIaMP ?

À partir de leurs paroles et de leurs écrits – et avec leur approbation – nous avons imaginé cet échange entre trois personnes très engagées au PIaMP : Patrick Celier, du premier groupe de bénévoles qui ont donné naissance au PIaMP; il est l’un des signataires de la demande en incorporation de l’organisme en 1982; Jean-Guy Nadeau, également parmi les bénévoles du début du PIaMP; il est professeur retraité de l’Université de Montréal; et Stéphanie Gingras-Dubé, coordonnatrice actuelle du PIaMP.

Jean-Guy – Je me demande maintenant, si on fondait le PIaMP aujourd’hui, est-ce qu’on donnerait ce nom-là à l’organisme : Projet d’intervention auprès des mineur·es prostitué·es. Quand je vois le nom, depuis un certain nombre d’années, je trouve ça tellement stigmatisant!

Stéphanie – « Prostitué·es » est en effet un terme que nous rejetons. Nous sommes solidaires des travailleur.euses du sexe adultes dans leur lutte pour la décriminalisation et la déstigmatisation du travail du sexe. Pourquoi alors avoir choisi ce nom, et quels termes préférons-nous aujourd’hui? 

Patrick – Lors de l’incorporation du projet, il a fallu trouver un nom pour l’organisme. Un nom qui colle à la réalité de ce qu’était le projet. Ce sont les jeunes qui fréquentaient l’organisme qui choisirent le mot PIMP, suivant une suggestion d’Yves Larochelle*, comme acronyme de Projet d’Intervention auprès des Mineurs Prostitués. Le mot fait partie du langage du milieu. Lorsque nous avons soumis ce nom pour l’incorporation, on nous a demandé de changer parce que c’est un mot obscène. Comme nous voulions le garder, nous avons donc décidé, avec l’accord des jeunes, de l’écrire PIaMP, le a le plus minuscule possible pour ne pas oublier de toujours prononcer PIMP.

Jean-Guy – Oui, on a continué d’appeler ça le PIMP jusqu’à la deuxième génération d’intervenant·es, où c’est devenu le PIaMP. En fait, le PIMP, c’est le souteneur. Nous, on voulait soutenir les jeunes. Évidemment on voulait faire image aussi, on voulait faire choc, que ça paraisse.

Patrick – Et lorsqu’il fut décidé de donner un nom au Drop-in du PIMP, ce sont encore les jeunes, à l’initiative toujours d’Yves Larochelle, qui l’ont trouvé : REPAIRS, ainsi orthographié parce que ce nom recelait plusieurs significations :

  • un repère pour les jeunes prostitués, comme leur lieu d’appartenance. D’ailleurs, ce sont eux qui en avaient la gestion et l’aménagement, pour être sûr qu’ils se sentent chez eux;
  • un endroit où on trouve ou retrouve ses repères dans la vie;
  • enfin, un lieu où l’on se retrouve entre pairs.

Stéphanie – C’était donc dans une visée de réappropriation de ce terme que les jeunes qui ont participé à la fondation de l’organisme ont choisi ce nom. Un nom aussi punchy avait le pouvoir de choquer et de rendre leur réalité visible. Aussi, parce que pour elleux, contrairement à ce que les médias véhiculent sans cesse, les personnes qui organisent les échanges de services sexuels ne sont pas des monstres : la réalité est beaucoup plus complexe.

Jean-Guy – Je pense qu’à l’époque, c’était différent. Il fallait rendre visible quelque chose qui était invisible. On a eu un nom qui rendait visible dans le vocabulaire de l’époque. On a été visible après. Il n’y a personne d’autre, après nous, qui a eu un nom aussi punchy que ça. Les autres noms étaient tous beaucoup plus poétiques. Je ne suis pas contre les noms poétiques, j’aurais pu souhaiter un nom poétique, mais je pense qu’à l’époque il fallait un nom qui punch. Pis qui nous punch nous autres mêmes.

Stéphanie – Un nom qui nous frappe nous-mêmes parce que, Jean-Guy, tu nous rappelles que nous avons une responsabilité, en tant qu’adultes, envers les jeunes.

Jean-Guy – Je pense que c’est extrêmement important la distinction entre travailleur ou travailleuse du sexe et prostitué·e. Dire que je suis travailleur ou travailleuse du sexe, ça sous-entend que c’est un travail : je ne suis pas seulement ça, mais je fais ce travail-là. Identifier quelqu’un comme prostitué·e, c’est comme le réduire à cette activité. Ce que je déplore complètement. Prostituer c’est d’abord un verbe transitif (objectif). On « prostitue quelqu’un ». À travers l’histoire, « on a prostitué » des personnes, et à l’époque romaine d’où vient le nom, c’étaient des esclaves.

Stéphanie – Cela nous rappelle que « prostitué·e » est un terme victimisant qui enlève l’agentivité des personnes dont on parle. Lorsqu’ils ne sont pas utilisés dans un objectif de réappropriation ou de subversion, par des personnes directement concernées, nous choisissons d’éliminer les termes « prostitution » et « prostitué·es » de notre vocabulaire. 

Les travailleur·euses du sexe adultes mènent des luttes importantes et revendiquent une identité professionnelle qui leur revient. L’identité des jeunes, elle, est en construction. Au PIaMP, nous parlons souvent de « personnes qui échangent des services sexuels contre toute forme de rémunération ». Nous préférons encourager les jeunes à se définir et à définir leurs activités, en utilisant nous-mêmes une expression large et englobante, qui inclut des réalités diverses. En effet, les jeunes que nous rencontrons ne font pas nécessairement partie de l’industrie du sexe : plusieurs peuvent échanger des services sexuels avec des jeunes de leur âge contre d’autres formes de services, par exemple. Iels ne se reconnaissent pas toustes dans l’identité professionnelle de travailleur·euses du sexe.

*Yves Larochelle a fréquenté le PIaMP et s’y est impliqué durant plusieurs d’années; il est devenu travailleur de rue. Il est mort du SIDA en 1992.