Écrit par Gilles Tardif
3. Un rapport d’étape
Avant d’aborder les moments qui ont vu émerger le PIaMP, il nous faut considérer un des principaux promoteurs de ce projet. Le Groupe de travail engage un travailleur de rue, Jacques Pector, qui, en cinq mois, effectue une tâche discrète et fructueuse. En février 1981, il remet un rapport au Groupe de travail, dont nous citerons de larges extraits, car on y retrace les fondements d’une approche des jeunes, qui construiront le PIaMP et mèneront plus tard à la réalisation de la recherche à travers les récits de vie.
Une approche
Le Groupe engage ce travailleur de rue dont « … les objectifs seraient, d’une part, combler les lacunes des connaissances du phénomène et d’autre part, expérimenter les pistes de travail pour une approche préventive par des actions directes dans les milieux où les jeunes se prêtent à la prostitution, une représentation d’elleux plus globale et plus précise de ce phénomène devront permettre une identification des besoins de ces jeunes afin de mettre en place des ressources adéquates, alternatives et novatrices dans un temps plus rapproché. » (Pector, 1981, s.p.).
« Les premières démarches consistent donc en :
- Connaissance du réseau de ressources existantes
- Identification des lieux de prostitution
- Observation des jeunes prostitué·es
- Prise de contact
- Counselling individuel et/ou de groupe. » (Pector, 1981, s.p.).
« Pour faciliter sa propre intégration dans les milieux de la prostitution, il est presque indispensable de se faire parrainer par des personnes ayant une grande connaissance de la prostitution, soient des ex-prostitués, soient des individus sensibilisés à la problématique et motivés pour s’impliquer dans des actions futures. C’est d’ailleurs le premier contact avec des bénévoles possible […] Sur le terrain, leur savoir-pratique permet de décoder les types de comportements […] d’identifier les lieux de prostitution et de les distinguer des endroits de rencontres […] Et suivant le jeune avec qui on entre en contact, on recherche des données différentes : “sentir” le jeune est très important, car les premières minutes du contact détermineront souvent la suite de la relation si elle est nécessaire; un “pro” n’aura pas les mêmes demandes ou attentes qu’un novice […] Il est indispensable de se constituer une banque de ressources par rapport aux différents aspects qui touchent la prostitution » : aspect légal, médical, psychologique, social ou en terme de ressources. « Ces prises de contact permettent une sensibilisation des personnes par rapport au projet, un échange d’information, et de déterminer les types et le cadre de collaborations possibles. » (Pector, 1981, s.p.).
La prostitution des jeunes à Montréal
« Il existe de nombreux types de prostitution : certains le font de manière structurée, organisée. Ils ont 17-24 ans. Ils paient ainsi leurs études ou se mettent de l’argent de côté. Ce ne sont pas eux que l’on rencontre sur les places publiques! Ils ont leur clientèle privée ou “travaillent” dans des agences. C’est une minorité! La plupart ont de 13-18 ans. Ils sont très souvent originaires d’un milieu défavorisé, d’une famille monoparentale ou désorganisée, originaires de certains quartiers de Montréal, mais nombreux sont ceux qui proviennent de la province. Ils sont en situation de rupture avec leur milieu.
La prostitution est alors une solution tentante qui va rapporter de l’argent, leur laisser une liberté tant désirée et elle va leur permettre de rompre leur isolement social. Si le jeune est ” embrigadé ” dans un réseau par un “rabatteur”, il sera logé, nourri, habillé et il perdra jusqu’à son identité. L’adolescent rêve de pouvoir vivre son orientation sexuelle, d’être aimé et compris, d’avoir de l’argent. Si la réalité ne répond pas à ses attentes, re-fabulation, re-fuite pour conserver intact le rêve. Ce désir de fuite est accentué par la situation de sur-marginalisé qu’il vit: pas de rôle et de statut social; pas de conscience de l’avenir et recherche de substituts (drogues) qui accentuent l’enfermement dans la solitude. Peu scolarisés, leur possibilité de réinsertion sociale est réduite… » (Pector, 1981, s.p.).
Action de la communauté – 3 approches
Grâce au travail de Jacques Pector, « Le réseau de communication qui s’est créé entre des personnes sensibilisées au phénomène de la prostitution chez les mineurs a débouché sur la création de deux groupes d’action : un groupe de bénévoles et une table de concertation avec le milieu gai.
Le groupe de bénévoles est constitué d’une dizaine de jeunes, 18-25 ans, qui connaissent très bien les milieux de la prostitution. Plusieurs sont des ex-prostitués. Avec eux, il y a également quelques intervenants engagés dans le dossier depuis les débuts. Ce groupe se donne des moyens pédagogiques pour se former à une action préventive sur le terrain et à la préparation de projets devant répondre aux besoins spécifiques » (Pector, 1981, s.p.) des jeunes rencontré·es au cours des séquences d’observations-terrain (rue, bars, saunas, restaurants, lieux de drague, etc.).
La Table de concertation « … rassemble des personnes du groupe de travail sur la prostitution et des personnalités de la communauté gaie. Les objectifs sont : réflexion sur l’homosexualité et la prostitution; sensibilisation et implication du milieu gai; production de documents d’information. » (Pector, 1981, s.p.).
Discrètement, un troisième type d’action s’effectue à partir d’une maison de quartier communautaire, un club de prévention ouvert aux jeunes, en majorité de 12-18 ans. Au cours de l’année, les animateurs de l’Imagerie (quartier Saint-Louis), maison associée au BCJ, « … ont été confrontés à la prostitution par le travail de milieu qu’ils effectuaient dans le quartier, au Parc Lafontaine et au Complexe Desjardins. Plusieurs de ces jeunes flânent dans le quartier. » (Pector, 1981, s.p.). Les projets qui sont envisagés « … permettraient d’une part d’expérimenter une approche de la prostitution par le biais d’une communauté locale […] d’autre part, par son orientation communautaire, L’Imagerie serait le joint central des différentes ressources dans le but de créer des réseaux de communications par le biais d’endroits de rencontre et d’expression. Ces projets seraient gérés par des citoyens de la communauté (cf. groupe de bénévoles), supervisés par des professionnels et/ou participants à des séminaires de formation. » (Pector, 1981, s.p.).
Le rapport relatant ces opérations se terminait par une brève description d’étude de cas illustrant le phénomène de la prostitution.
Et le groupe de travail
Après la réception de ce rapport, dans un bilan dressé par messieurs Michel Bleau et Denis Boivin, alors au CPJ, les “parrains” en quelque sorte du Groupe de travail, il était fait mention de 11 résultats concrets et directs, de trois retombées indirectes et de démarches futures. Voilà un palmarès quantitatif impressionnant pour quelques mois de travail, dans lequel nous porterons notre attention sur les points suivants : outre la production de brochure, articles, ateliers de discussion, émissions de radio et de télévision sur le phénomène, il y a la mise sur pied de la Table de concertation sur la prostitution homosexuelle, d’un projet discuté, mais sans suite, au Complexe Desjardins, d’un projet de recherche sur la violence dans la sexualité publié par le CPJ… Dans tout cela, apparaissent deux pistes qui demandent à être complétées, soit le dossier sur les danseuses nues et la prostitution des filles et celui sur la pornographie.
Nous en arrivons maintenant à ce qui nous intéresse particulièrement, c’est-à-dire la formation d’un groupe de bénévoles auprès des jeunes prostitué·es, le PIaMP (5).
Sur ces bases, consolidées par l’engagement bénévole du travailleur de rue au-delà de la subvention initiale et supporté par d’autres bénévoles, le projet se développe autour d’un leitmotiv communautaire. En effet, une deuxième subvention du CPJ permet de couvrir une autre période salariale jusqu’en mai 1982, mais une troisième subvention promise, demandée, est refusée. Le travailleur poursuit son action bénévolement afin de préserver les démarches des différents groupes impliqués, et surtout celles des jeunes avec lesquel·les il est en relation.
(5) Ce projet devient une recherche-action qui n’obtient pas le financement voulu. Le PIaMP réagit en mettant en place plus tard une action-recherche basée sur des récits de vie.