Origine et création du PIaMP (4/4)

Écrit par Gilles Tardif

4. Le PIaMP

Le PIaMP rassemble une vingtaine de personnes, ex-prostitué·es, étudiant·es, intervenant·es, citoyen·nes motivé·es à s’impliquer dans une action concertée. Conscient qu’une action préventive n’est réellement efficace que si le maximum de personnes se sent concerné par elle, le travailleur de milieu a su s’adjoindre une équipe de bénévoles avec laquelle il implantera le PIaMP, groupe qui développera davantage la dimension d’action communautaire. Les objectifs sont d’entreprendre une action de parrainage auprès de jeunes prostitué·es pour les aider à se conscientiser à leurs réalités et à régler leurs problèmes spécifiques; de sensibiliser à la question le réseau des affaires sociales et le milieu ambiant en vue de l’impliquer; de participer à la mise en place et à l’organisation de ressources ajustées aux besoins de ces jeunes.

Chacun·e des membres actualise ces objectifs selon ses capacités et sa disponibilité (parrainage, représentation, connaissance clinique ou du milieu, documentation, travail-terrain…). La philosophie d’action du groupe a pour conséquence que lea jeune entre en contact avec un·e bénévole qui développe avec ellui une relation d’un type auquel iel n’est pas habitué·e, car c’est ellui qui consent à être en relation avec l’adulte dans une intervention dé-professionnalisée, égalitaire, sans que toustes deux ne soient tiraillé·es par la relation d’autorité sociojudiciaire.

Il faut rappeler que ce premier groupe de bénévoles surgit à la suite des travaux du Groupe de travail original et de la Table de concertation sur la prostitution homosexuelle qui lui a succédé. Sous la responsabilité du CPJ, la table agit comme un Comité aviseur. Ce sont en majorité des intervenant·es concerné·es par la prostitution des mineur·es qui discutent, élaborent des pistes de travail sur diverses problématiques, mais constatent que, malgré un effort de sensibilisation, iels ne parviennent pas à ébranler les institutions et à intéresser le public. C’est la publication d’un article dans un média anglophone qui fait surgir le dossier par la porte arrière en créant un important malaise au sein des institutions qui cherchent alors à contrôler le dossier, ce qui provoque la fin discrète de la Table.

La poursuite du dossier vient quand même du Comité aviseur qui, grâce à la détermination du CPJ, laisse au Groupe de bénévoles le temps de se doter des moyens d’aller plus loin. C’est ainsi qu’un projet de recherche est amorcé avec des professeur·es de l’Université de Montréal et de l’Université McGill.

Les institutions (scolaires, santé et services sociaux entre autres) financent par ailleurs des projets d’éducation, d’exploration, à Québec entre autres, dans la communauté anglophone métropolitaine, sur la Rive-Sud; les divers services de contentieux s’en mêlent. Les membres du Comité, incluant le PIaMP, comprennent de plus en plus qu’on cherche à les devancer pour limiter et contrôler les nouvelles approches avancées par le PIaMP. Dans ce contexte d’embarras, les membres prennent connaissance du Comité fédéral Badgley (6) et constatent qu’il ignore le Québec dans ses travaux suite à des informations policières affirmant qu’il n’y a pas de problème de prostitution des mineur·es au Québec, en particulier à Montréal. Référé par Me Andrée Ruffo, le président du comité, un peu gêné, demande l’appui du Comité aviseur pour distribuer son questionnaire au Québec, mais le professeur Maurice Moreau, engagé dans le projet de recherche du PIaMP, dénonce le questionnaire pour son caractère plus policier que scientifique. Cela met soudainement fin à ce comité qui sera remplacé peu après par la commission Fraser. C’est dans cette atmosphère de malaise constant, résultant de la tension grandissante entre la volonté de contrôle des institutions et l’approche communautaire du PIaMP et de ses partenaires, que le Comité cessera ses activités et que le PIaMP décidera de développer son action de manière autonome.

Rappelons brièvement qu’un noyau de 20 bénévoles, majoritairement en proximité avec le milieu de la prostitution masculine, se constitue en un groupe qui s’incorpore en 1982. Le PIaMP se démarquera d’emblée des discours réduisant lea jeune au statut de victime et occultant le phénomène de la prostitution pour proposer une démarche d’intervention mettant de l’avant le libre-arbitre des jeunes. L’organisme constate aussi l’effet déstructurant de l’approche répressive des services sociaux sur les jeunes, qui perçoivent les interventions de ces institutions comme des obstacles supplémentaires à surmonter.

Dans le but de développer des ressources efficaces, originales et près de la réalité des jeunes, l’organisme s’affilie au BCJ pour sensibiliser, informer et démystifier le phénomène de la prostitution des mineur·es auprès de la collectivité et des organismes du réseau des Affaires Sociales. Un échange avec la France dans le cadre d’un programme de l’Office franco-québécois pour la jeunesse (OFQJ), ainsi que la délégation de membres du PIaMP à New York, San Francisco et Vancouver pour explorer le terrain, permettront également de découvrir de nouvelles approches. Le travail de rue deviendra le nouveau mode d’intervention et sera privilégié par le PIaMP pour son efficacité auprès des jeunes sans domicile fixe, qui échangent ou sont susceptibles d’échanger des services sexuels au centre-ville et dans les quartiers avoisinants. En février 1983, le PIaMP ouvre « Le Repaire » sur la rue Sainte-Catherine, un drop-in autogéré par ses bénévoles, qui deviendra une référence pour les jeunes prostitué·es à Montréal. 

Et l’histoire se poursuit…

(6) Comité sur les infractions sexuelles à l’égard des enfants et des jeunes, créé en décembre 1980, présidé par le Dr Robin Badgley.

Bibliographie

Groupe de travail sur la prostitution chez les mineurs (1980). Rapport sur la prostitution chez les mineurs, Montréal, 73 p.

Pector, Jacques (1981). Rapport d’étape sur le travail de milieu concernant la prostitution des garçons mineurs, présenté par Jacques Pector au Groupe de travail, février 1981, s.p.

Nadeau, Jean-Guy (1982). « Pour qui, pourquoi, la prostitution? ». Dans Vie ouvrière, Volume XXX11, novembre, no 165, p.22-25.

PIaMP (1992). Action-recherche sur la prostitution des mineur/es 1982-1992 : une réalité sans nom (ni oui), 124 p. Non publié.Robert, Jean. Médecin de rue, Montréal, XYZ éditeur, 2018, 269 p.