À propos des échanges de services sexuels
Ici, vous trouverez des questions et réponses qui peuvent vous aider à mieux comprendre les échanges de services sexuels, les motivations des jeunes, etc.
Professionnel·les
Vers la fin des années 1970, le phénomène de la prostitution des mineur·es était complètement nié socialement, même dans le milieu des services sociaux. Par conséquent, le principal objectif des jeunes qui s’étaient regroupé·es pour créer l’organisme en 1982 était de faire reconnaître leur existence. Il fallait un nom explicite, frappant l’imaginaire et facile à retenir. Il fallait aussi un nom qui témoignait du soutien que l’organisme entendait proposer aux jeunes.
Le nom complet de l’organisme, Projet d’intervention auprès des mineur·es prostitué·es, a donc été abrégé sous le sigle PIMP. Un pimp, aussi appelé proxénète ou souteneur, est une personne qui vit des fruits de la prostitution de personnes qu’il prétend protéger. Cependant, par définition, un souteneur, c’est aussi quelqu’un qui soutient, qui défend une idée, une cause. Vous voyez où tout ça nous mène?
La demande d’incorporation a donc été présentée avec ce nom, ce qui a été refusé par les autorités gouvernementales. Les jeunes, à l’époque, ont insisté pour garder le nom. Rappelons-le, pour eux, il fallait un nom choquant pour attirer l’attention sur leur réalité. Dans les mouvements sociaux, la réappropriation de termes dégradants est commune : on peut penser aux termes « queer » ou « pute », que certaines personnes revendiquent avec fierté.
Comme le nom complétait reflétait bien les valeurs de base de l’organisme, il fut décidé de soumettre à nouveau la demande d’incorporation avec l’abrégé suivant : PIaMP. En fait, ce petit « a » est très important, car le mot qu’il représente, « auprès », veut dire : « à ses côtés ». Cela signifie qu’au PIaMP, nous ne faisons pas d’intervention pour faire cesser la prostitution, sauf si c’est ce que les jeunes veulent. Nous visons à accompagner les jeunes qui le veulent dans leurs démarches vers l’atteinte de leurs objectifs.
Le trafic humain
Tout d’abord, un mot sur le trafic humain. En effet, il existe plusieurs définitions de « trafic humain » ou de « traite des personnes ». Certaines de ces définitions sont tellement larges qu’elles englobent toutes les personnes qui font du travail du sexe ou toutes les personnes qui font du travail du sexe de manière non-indépendante. Certaines statistiques sur le trafic humain comptent aussi tous les enfants signalés disparus, même si ces enfants étaient finalement, par exemple, simplement allés chez un·e ami·e sans avertir leurs parents. C’est pour cette raison qu’on rencontre souvent des chiffres extrêmement alarmants sur le trafic humain.
Ces chiffres élevés qui mélangent plusieurs réalités peuvent nous faire croire que, par exemple, les femmes migrantes qui font du travail du sexe sont toutes victimes de trafic humain. C’est une conception assez commune qui a des conséquences graves pour ces travailleuses du sexe : se faire traiter comme des victimes, vivre de la surveillance et de la brutalité policière, voire des déportations. Il est vrai que ces personnes ont souvent des dettes et peu d’options quant à leur choix d’emploi, ces problèmes sont liés à des raisons structurelles : les lois de l’immigration, le racisme et les disparités de richesse au niveau mondial.
La panique morale ambiante à propos de la traite des personnes nous porte malheureusement à ignorer les violences psychologiques, physiques, économiques et sexuelles qui s’installent de manière sournoise dans des relations interpersonnelles. Les situations de séquestration et d’exploitation existent, mais la plupart des violences sont faites aux mains de personnes connues des victimes, dans une dynamique d’escalade de la violence.
C’est cette escalade de la violence, le plus souvent, qui mène à des situations de violence extrême. C’est pourquoi il est plus utile de tenter de reconnaître les signes de violence que de tenter d’éviter que les adolescent·es soient enlevé·es par des inconnu·es et forcé·es à vendre des services sexuels.
Comment reconnaître la violence
Tout cela étant dit, comment peut-on savoir si un·e adolscent·e est victime de violence? Certains signes peuvent apparaître dans des changements de comportement, par exemple :
- Est de plus en plus isolé·e des ses proches;
- Fait des fugues répétées;
- Est très secret·e par rapport à ses fréquentations;
- Montre des signes de troubles alimentaires;
- Mentionne avoir des dettes, ou a constamment besoin d’argent;
- Montre des signes d’hypervigilance;
- Doit informer une personne de tous ses déplacements et activités, est constamment sous surveillance.
Tous ces signes ne nous informent pas sur la source de la violence! Elle pourrait être faite de la part des parents, d’un·e partenaire, d’autres élèves qui fréquentent son école, parfois même d’intervenant·es ou d’enseignant·es. Certains de ces comportements sont aussi le résultat de violences systémiques. Le plus important est de construire un lien de confiance avec l’adolescent·e qui lui permettra de se confier à propos de cette violence. Il faut aussi outiller les adolescent·es à reconnaître les violences et à y réagir pour savoir s’en protéger.
Bien que couramment employé dans la société et les médias, il est important de garder en tête que le terme prostitution est chargé historiquement et moralement. Même si dans l’esprit de certain·es il est neutre et renvoie seulement à sa définition stricte, il porte les traces du stigmate et les personnes qui échangent des services sexuels peuvent donc vouloir l’éliminer.
L’expression travail du sexe ou travail sexuel, souvent simplifiée par les lettres « TDS », renvoit à l’idée qu’échanger des services sexuels peut être considéré comme un emploi, un travail. Les personnes qui désignent leurs activités comme du travail du sexe revendiquent alors aussi une identitié professionnelle et des droits pour les protéger.
Une personne qui a vécu de la violence pourrait nommer son expérience comme étant de l’exploitation sexuelle.
Nous pensons que l’approche la plus respectueuse est celle de laisser la personne définir elle-même ses activités et ses expériences. Les formes d’échanges de services sexuels sont variées et certaines personnes peuvent se définir comme danseur·euse ou sugar baby sans pour autant revendiquer être travailleur·euse du sexe. Il faut se rappeler que cette distanciation par rapport au terme travail du sexe est souvent reliée à la stigmatisation que vivent les travailleur·euses du sexe. En tant qu’intervenant·e, nous ne pouvons pas défaire ce stigma dès le début de nos interventions. Ainsi, une fois qu’on sait les termes qu’une personne en particulier utilise pour décrire ses activités, on peut les adopter également dans nos interventions avec elle, dans la mesure où ces termes ne sont pas péjoratifs.
Sachez également que l’expression travail du sexe est plus largement utilisée pour les personnes majeures considérant la dimension liée au consentement.
Nous invitons les professionnel·les à utiliser le terme « échanges de services sexuels contre rémunération » (ESS) qui permet d’englober l’ensemble des activités qui se rapportent à l’industrie du sexe et au-delà. En effet, cela permet aussi d’inclure les échanges qui peuvent se faire entre jeunes, de façon informelle, qui ne sont pas nécessairement associés à une identité professionnelle. Ce terme a aussi l’avantage d’être plus neutre, ce qui laissera l’espace nécessaire pour que la personne définisse sa propre expérience.
L’argent est une des principales raisons de s’adonner au travail du sexe, mais plusieurs autres motivations incitent les gens à faire partie de cette industrie. Certain·es mentionnent:
- La flexibilité des horaires
- La possibilité d’être indépendant·es
- Un plus grand contrôle sur leur sexualité
- Un travail qui concorde avec leurs talents
- Le style de vie
- Avoir peu d’autres options
- Vivre de la coercition
- L’accès à la drogue et l’alcool, ou la possibilité de consommer en travaillant
- Être une personne marginalisée qui vit de la discrimination à l’emploi
- Ne pas avoir de statut légal au Canada, ce qui ne permet pas de trouver un emploi reconnu légalement
- Trouver une communauté ou un groupe d’appartenance
Cela peut dépendre de leur identité, de leur vécu, de leurs antécédents familiaux et relationnels, de leur situation économique, de leurs besoins affectifs, etc. Pour certain·es, le travail du sexe est une façon de survivre et d’obtenir de l’argent rapidement, pour d’autres c’est un emploi comme un autre ou encore une façon de s’émanciper et de se découvrir.
Reconnaître la nature diversifiée des expériences et des vécus des travailleureuses du sexe permet de pouvoir répondre adéquatement à leurs besoins. Refuser d’admettre cette diversité, c’est nier la valeur de ces personnes, ce qui est stigmatisant pour elles. L’expérience négative de quelqu’un·e n’invalide pas l’expérience positive de quelqu’un·e d’autre et vice versa.
La décriminalisation signifie l’élimination des lois qui interdisent le travail du sexe, alors que la légalisation signifie la création de nouvelles lois qui permettent, mais encadrent le travail du sexe. Le Piamp prend position pour la décriminalisation du travail du sexe chez les personnes adultes. Pourquoi ne pas prendre position pour la légalisation?
D’abord, parce que les mouvements sociaux et les regroupements de travailleur·euses du sexe demandent la décriminalisation. En général, nous croyons que les personnes concernées par les enjeux sociaux sont celles qui sont le mieux placées pour définir leurs besoins. Il est possible de consulter, par exemple, les recommendations de l’alliance canadienne pour la réforme des lois sur le travail du sexe en cliquant ici. Cette alliance regroupe plusieurs organisations de défense de droits des travailleur·euses du sexe.
La légalisation n’est donc pas une solution envisagée par ces groupes pour le moment. La légalisation continue de donner un pouvoir de surveillance et de punition à l’État et donc, à la police. Les travailleur·euses du sexe étant stigmatisé·es, iels sont déjà plus à risque de vivre de la violence policière. Cela est encore plus vrai pour les travailleur·euses du sexe trans, autochtones et racisé·es. De plus, la légalisation détermine les endroits où le travail du sexe peut être pratiqué. Si les places sont limitées, il faut compétitionner pour y accéder. Ce sont donc les personnes les plus privilégiées qui y ont accès : celles qui ont plus d’argent pour payer le local commercial, ou celles qui répondent aux standards de beauté car les employeurs croient qu’elles rapporteront plus d’argent, par exemple. Les travailleur·euses du sexe qui n’ont pas ces privilèges auraient difficilement accès aux lieux de travail légalisés et continueraient à être isolé·es et criminalisé·es.
La décriminalisation permettrait donc aux travailleur·euses du sexe de garder plus d’agentivité et de pouvoir sur leur travail.
Commençons cette réponse par une question : si on ne parle pas des échanges de services sexuels aux jeunes, est-ce qu’il y a tout de même des possibilités pour qu’ils sachent que le travail du sexe existe?
Il nous apparaît évident que oui! Que ce soit par la télévision, le cinéma, les livres, une connaissance ou encore les réseaux sociaux, les adolescent·es seront tôt ou tard en contact avec la réalité du travail du sexe.
Prenons une autre question similaire : Est-ce qu’en parlant aux jeunes de la sexualité, nous les encourageons à avoir des rapports sexuels? Est-ce qu’en leur parlant de l’alcool, nous les encourageons à en consommer? Probablement pas! Nos conversations avec les adolescent·es peuvent plutôt servir à transmettre de l’information importante telle que l’éducation en lien avec le consentement, la réduction des risques ou encore les dynamiques de pouvoir dans les relations interpersonnelles.
Tout comme pour la pornographie ou le sexting, nous croyons qu’il est important que les jeunes aient une vision réaliste du travail du sexe, qu’ils ne risquent pas vraiment d’acquérir si leur seule source d’informations est, par exemple, le cinéma. Ainsi, évacuer les questions en lien avec la vente de services sexuels dans l’éducation à la sexualité comporte beaucoup de risques : les jeunes ne sauront pas vers qui se tourner s’ils ont des préoccupations en lien avec ce sujet, seront laissés à elleux-mêmes pour prendre des décisions sans avoir les outils pour le faire et n’auront aucune idée de comment se protéger de relations abusives.
De plus, il est important que les jeunes comprennent les raisons pour lesquelles il est beaucoup plus risqué pour des adolescent·es que pour des adultes de vendre des services sexuels, et puissent reconnaître les dynamiques problématiques en lien avec l’âge du consentement.
L’éducation à la sexualité ne vise pas à les encourager à « se prostituer », mais plutôt à savoir comment mettre leurs limites, à connaître les ressources disponibles, à avoir les outils pour exercer un consentement éclairé dans leur vie sexuelle et à pouvoir soutenir leurs ami·es qui seraient dans des situations difficiles.
Analyser autrement la « prostitution » et la « traite des femmes »
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